Storytelling, un film de Todd Solondz |
Une amie (poète et artiste) est
en train de réaliser son site web. Pour cela on lui conseille d’être sobre, synthétique,
d’utiliser des phrases courtes.
En l’écoutant, j’ai pensé à ces
sites américains dans lesquels les auteurs sont très prolixes et adorent
raconter des histoires, Dans leur bio, ils n’hésitent pas à décrire leur vie
depuis la maternelle, voire avant, ils évoquent, leurs enfants, leurs parents, leur
chat, leur chien, ce qu’il faisait à 10 ans…
Leurs homologues français, en
effet, préfèrent opter pour la sobriété avec une liste de leurs publications,
quelques phrases ciselées sur leur parcours, une description de leurs activités
ou prestations.
Alors que dans la tradition anglo-saxonne, c’est le storytelling
qui prime, le goût pour des histoires bien ficelées, riche en émotions et anecdotes.
Voyez par exemple, le site en français de la chaleureuse auteure de livres
jeunesse, Susie Morgenstern, qui vit depuis quarante ans en France. Et bien
elle raconte tout. Ce n’est pas comme je
l’ai cru d’abord, en raison de son statut d’écrivain pour la jeunesse. Du
moins, c’est tout autant parce qu’elle est américaine. A la lecture de son
site, c’est évident, on a l’impression de prendre une tasse de thé dans la
cuisine de sa maison sur les hauteurs de Nice, de sourire et de pleurer avec
elle sur les drames de la vie et sur ses douceurs. Et bien sûr, nous prend l’envie de lire tous
ses livres… !
Selon, la belle web-revue Syntone, consacrée
à la création radiophonique, le storytelling
est issu du nouveau journalisme dans les années 70 et de l’intérêt
culturel que les Etats-Unis portent aux histoires orales (lire l'article).
Certes, mais il faut remonter bien au-delà,
au 17e siècle. Lorsqu’une poignée d’Anglais puritains traverse l’Atlantique, l’Ancien Testament dans la besace. De l’autre côté se profile la
« Terre promise » où ils pourront construire selon un « plan
divin », la « Cité sur la colline ». Opposés aux fastes de
l’église catholique, persécutés dans leurs pays, ils rêvent de transposer l’héritage
biblique sur cette terre, ce vaste continent qu’ils considèrent comme vide, une
page blanche à écrire… Et l’écriture justement sera le moyen de perpétuer, pour
les générations à venir ces « miracles », loin des anciens
oppresseurs et d’une monarchie qui leur est hostile.
Jamestown, la première colonie britannique, en Virginie. |
Ada Savin, spécialiste d’études américaines,
en a fait la thèse de son livre L’Amérique par elle-même (Michel Houdiard
éditeur). Elle y montre comment s’est constituée la filiation entre l’Ancien
Testament et l’idéologie américaine.
Les colons ne vont cesser d’écrire, textes
divers, lettres, autobiographies surtout : « Explorer c’est aussi
s’explorer, s’examiner au contact de l’Autre. On devient Américain en
écrivant ; et on commence souvent par écrire le récit de son
« passage », de ses tribulations sur le nouveau continent. »
Dans leurs récits, ils favorisent alors les événements,
l’expérience immédiate et sa représentation narrative, des choix qui vont
perdurer dans une partie de ce qui deviendra la littérature américaine les siècles suivants.
En tant que membres du nouveau peuple élu, ces
colons s’emploient à répandre cette idéologie. La production d’ouvrages est
alors impressionnante. Dans cet ensemble se construit la nation. Alors que l’Europe
privilégie le sujet-auteur, dans l’Amérique naissante écrire sur soi, c’est mesurer
son apport à la construction de la Nation, c’est écrire pour le collectif.