Le pain et le Brot


Une amie traductrice participe à des rencontres sur son métier. Elle me dit que l’une des difficultés c’est de traduire un univers, qu’une langue maternelle infuse dans notre corps, dans notre peau. Prenez le mot pain, ça semble simple.  
Du pain ce n’est jamais que du pain. Mais essayez de le traduire en allemand. On dira « Brot » bien sûr, et ça semble toujours aussi simple. Pourtant pas tant que cela. Si vous Français vous pensez pain, c’est la baguette qui vous vient à l’esprit. Du bon pain frais, craquant, blanc (éventuellement avec un peu de céréales). Vous imaginez les tartines beurrées du matin, avec un café chaud… Et bien, si on en croit le philosophe et traducteur allemand Walter Benjamin, rien de plus compliqué !

Car les images qui habitent un Allemand avec le mot « Brot » sont celles d’un pain brun, avec de la charcuterie, des saucisses, de gros cornichons salés-sucrés, le tout dégusté en début de soirée, en guise de dîner, pour l’Abendbrot justement. Vous n’allez pas traduire Abendbrot par pain de soirée, ou soir-pain… Ce repas du soir  en Allemagne n’a pas d’équivalent. De même que le pain et le Brot  véhiculent des univers différents (il existe quand même plus de 1000 sortes de petits pains, de brötchen).  

En pensant à tout cela, je regardais trois amis, assis à la terrasse d’un café, attablés devant leurs petits noirs, ils se coupaient des bouts de pain sur la baguette fraiche qu’ils venaient d’acheter. Avec le Brot, ce ne serait pas si facile.