L'écriture créative à l'université

Une révolution aurait eu lien dans l'université française : les ateliers d'écriture y font leur entrée officielle sous forme de formations diplômantes, master de création littéraire et autre DU. Ce qui se pratique aux Etats-Unis depuis les années 40, avec un succès impressionnant a finalement droit de cité en France où l'on considère que l'écriture est une vocation tombée du ciel.
Le créateur d'Aleph, Alain André,  me disait il y a une dizaine d'années que les tenants de l'écriture créative désespéraient d'y parvenir. En effet, du moins à l'époque, il était nécessaire que plusieurs universités s'accordent  pour ouvrir de nouveaux cursus. Il doit être heureux d'avoir pu s'associer à partir de cette année avec l'université de Poitiers, dans la création  du diplôme d'université de formateur en écriture.

Mais les détracteurs ont-ils vraiment à s'inquiéter ?  L'adaptation française des "creative writings" risque-t-elle vraiment de produire des générations d'écrivains formatés et  insipides ? Ou de laisser croire à des étudiants naïfs qu'il leur suffirait d'obtenir leur diplôme pour prétendre à être publiés ?
Les termes utilisés soulignent d'emblée des approches du monde différentes : creative writing d'un côté, création littéraire de l'autre (dans le monde non universitaire, on parlera d'ateliers d'écriture). Pragmatisme versus théorie.

"Writing", c'est bien de l'écriture pas forcément de la littérature. Les diplômés américains peuvent être auteurs de livre de cuisine, de scénarios pour la télévision, d'ouvrages pratiques... Tous ne seront pas John Irving ou Raymond Carver. Quant au  "creative", il  ne veut pas dire forcément "création" au sens où nous l'entendons, mais créatif. On n'apprend pas là uniquement l'écriture professionnelle, scientifique ou technique, mais les techniques de créativité. Et celles-ci sont très développées aux Etats-Unis.



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Une amie (qui pratique la créativité et vit une partie du temps Outre-Atlantique) me disait que  les livres publiés sur ce thème sont souvent très différents des français. Et très nombreux. Elle faisait aussi remarquer que les Etats-Unis, pays « neuf », ont choisi de se créer une histoire commune. Aussi la narration y est reine. les Américains ne connaissent pas de frein, ils ne sont pas modelés par une histoire millénaire. La créativité à l’école (lorsqu’on peut la payer) est valorisée et les livres sortent des cadres. Une petite recherche internet à partir des termes book et creativity le confirme avec 149 000 000 résultats alors que les mêmes termes, en français, produisent 3 890 000 réponses. Rapporté à la dimension des marchés, l'intérêt américain semble bien plus fort. Mais ce n’est pas la seule différence. Les ouvrages américains parlent beaucoup  d’écriture, d’art, de créativité au sens large, alors que les références françaises portent plus sur l’innovation.
En examinant de plus près les formations universitaire françaises, on remarque que le diplôme de Poitiers, en fait, va former  des professionnels de l'accompagnement à l'écriture (pour des  publics variés) ainsi qu'à "l'approche de la recherche en didactique pour la formation à l'écriture". Il s'agit là de "faire écrire" plutôt qu'écrire. 
A l'université du Havre, la première  à avoir introduit ce nouveau diplôme, l'étudiant trouvera surtout  des "outils théoriques, critiques et techniques pour appréhender l'analyse, la genèse et la création d'un texte littéraire". Ce qui est tout à fait différent. Avec un premier parcours dit "création littéraire contemporaine", on vise certes "le métier d'écrivain" ou de critique littéraire mais aussi celui d'enseignant (le deuxième parcours "littérature française et écriture" s'apparentant ainsi à un cursus littéraire classique qui conduit au Capes ou à l'agrégation) ou de responsables en entreprise (en effet, on recherche de plus en plus des cadres qui maitrisent les techniques rédactionnelles...)

Et ailleurs, au fait, que se passe-t-il ? La Grande Bretagne est active dans ce domaine. A Oxford, par exemple, la formation en creative writing met l'accent sur le défi des écrivains contemporains dans un contexte global. En seconde année, on se spécialise : nouvelle, scénario, poésie, fiction radiophonique.
L'université de l'East Anglia dans le Kent est, elle, une des pionnières dans le domaine des creative writing, enseignement qu'elle a créé dans les années 70. On s'y forme auprès d'écrivains reconnus, avec la possibilité ensuite de travailler dans l'édition, la télévision ou le théâtre. En association avec le Guardian, cette université propose maintenant des masterclass pour les écrivains qui ont écrit leur premier roman (comment intéresser un agent ou un éditeur) et des cours pour les écrivains aspirants qui souhaitent se lancer dans l’écriture d’un roman, d’une biographie, d’un scénario ou d’une pièce de théâtre.

Pour compléter ces réflexions, je met
en ligne ce texte suivant publié il y a quelques temps dans Prosper. Il aborde la question de la formation à l'écriture créative dans les pays de culture protestante.


Peut-on apprendre à écrire ?

"Dans un livre récent, « Idéalisme français, pragmatisme américain : une nécessaire union », l’essayiste Edouard Valdman compare nos deux pays en mettant l’accent sur la relation à l’utopie et l’absolu d’un côté, et le pragmatisme né de la Réforme protestante et du puritanisme de l’autre. Cette différence, l’opposition atelier d’écriture dans sa version française et creative writing (écriture créative) à l’américaine en est une illustration. Nés à la fin du 19e siècle, trouvant leurs origines dans les clubs de conteurs et de lecture, les ateliers de creative writing sont issus de la tradition orale. Depuis les années 30, ils font partie intégrante, dans une perspective professionnelle, de tous les cursus universitaires, les meilleurs écrivains y enseignent et la sélection y est rigoureuse. L’éventail est vaste : roman policier ou nouvelle, science-fiction ou poésie, essai ou scénarios de télévision…
Formatage regrettent certains. Tous les auteurs ne vont-ils écrire de la même manière ? Comment peut-on apprendre à être écrivain ? 

Et si l’on envisageait le problème autrement ? Les éditeurs le savent, on a toujours besoin de polygraphes, capables de rédiger selon des styles différents. Il ne s’agit pas forcément de littérature mais d’écriture. Inventive, pertinente, agréable, travaillée, concise ou déliée… Une écriture qui peut faire rêver ou comprendre des données complexes. Qui convient à des guides de voyage ou à des livres documentaires, à des récits historiques ou des catalogues de musées.
C’est aussi à cela que forme les creative writing, trouver un style, travailler la structure de la phrase, savoir construire des chapitres ou des dossiers de presse, capter et relancer l’intérêt du lecteur.
Cette conception américaine s’étend au monde anglo-saxon et aux pays à majorité protestante. Car en Allemagne aussi l’écriture est un métier, et à ce titre rémunérée. Ainsi les romanciers y sont payés pour lire des extraits de leurs livres, devant un public nombreux. Alors qu’en France, il n’est pas rare pour un auteur de s’entendre dire par un éditeur : « Mais vous, vous êtes un artiste ! ». Faut-il comprendre « au-dessus des contingences matérielles » ? Rappelons au passage que tous ceux qui travaillent à l’édition d’un livre, du comptable à l’attaché de presse, en vivent, à l’exception de son auteur. 

En Suisse, à Bienne, les apprentis écrivains francophones ou germanophones peuvent se former, en trois ans, au bachelor en écriture littéraire grâce à l’Institut littéraire suisse, qui possède le statut de Haute école d’art fédérale. Controversé, cet institut aurait divisé la communauté littéraire. Sa partie alémanique y serait plus favorable et il semble que les tenants de la pure inspiration et du génie seraient plus représentés dans la Suisse romande.
En Grande-Bretagne, l’écriture s’enseigne également dans la majorité des universités, soit de manière assez technique, soit sous un angle plus expérimental. Et comme aux USA, ces cours, souvent prestigieux, cherchent à attirer les meilleurs écrivains et donnent une nouvelle aura aux départements de lettres. Le milieu universitaire français, longtemps réfractaire à l’idée d’un enseignement de l’écriture connaîtrait toutefois une lente évolution, mais les cursus sont destinés à former des animateurs d’ateliers plus que des praticiens de l’écriture. 
Alors qu’ici les ateliers d’écriture se sont multipliés en marge des universités depuis que des pionniers, Elisabeth Bing et Alain André avec Aleph, ont créé les premiers dans les années 80. Qu’ils soient à vocation sociale — dans les écoles, les prisons — ou d’épanouissement personnel, il s’agit d’espaces où l’on se retrouve autour de propositions d’écriture. Des « déclencheurs » — premières phrases de romans, inventaires ou listes — qui permettent de découvrir ou d’ouvrir imaginaire et émotion sans autre ambition que de se faire plaisir, sans crainte de la page blanche. « Les gens sont fascinés par les listes, on n’imagine jamais pouvoir en faire un objet littéraire » s’exclame Anne Simonet, créatrice de merveilleux ateliers dans des lieux les plus inattendus (en haut d’un arbre, au bord d’un lavoir… ). Des lieux où l’on peut s’offrir un temps à soi, le partager avec les autres, dans le pur bonheur de l’invention avec les mots.

Dans ces ateliers, on ne rêve pas d’être écrivain, pourtant ces pratiques suscitent aussi la suspicion. Comme si l’écriture, contrairement à tous les autres arts, musique, théâtre, peinture ou danse, ne pouvait aussi se pratiquer en amateur. Décidément, écrire possède ici un statut à part. Est-ce une longue tradition qui la sacralise ? L’acte créateur serait-il réservé à une poignée d’élus ? Il ne pourrait faire l’objet d’un travail, d’un apprentissage, de méthodes fussent-elle en prise avec l’imaginaire. « En France, domine une conception romantique de l'écrivain inspiré. » constate Guy Walter, le directeur de la Villa Gillet de Lyon qui tente d’expérimenter des ateliers d’écriture pour lycéens ainsi qu’avec l’université de Lyon II et avec l’Ecole normale supérieure. Alors que les Etats-Unis possèdent, eux une tradition, liée tout autant à leur histoire qu’à leur immense espace, dans laquelle s’est créée une écriture narrative et populaire. Et si nous pouvions adapter ces techniques et ce pragmatisme tout en protégeant les spécificités de la création à la française ?