Le cycle de vie qui fait renaître la vie en pays maori



« Pour survivre en ces temps chaotiques, suivez la voie de Tipu Ake. » C’est le conseil que propose aux Européens le site internet d’une communauté maori pleine d’attention pour les soubresauts qui agitent notre vieux continent. Comme il y a sans doute peu de chance qu’ils se calment — aujourd’hui, il paraît que les « marchés » ont peur face aux malheurs des Grecs, hier matin ils « allaient de l’avant » (grâce aux malheurs de Grecs), les vautours tournent en rond… en attendant leurs prochaines victimes — nous pouvons peut-être, en effet, nous en inspirer…
Mais qu’est ce donc que Tipu Ake ?


Tipu Ake ki te ora c’est le cycle de vie. Tipu signifie croître de l’intérieur, Ake : toujours plus haut, ki te Ora: vers le bien-être
Son histoire remonte aux années 90. Elle se passe en Nouvelle-Zélande, sur l’île du Nord, dans la communauté de Te Whaiti Nui-a-Toi. Une communauté qui a la spécificité de mêler Maoris et pakehas (des Néo-zélandais descendants d’Européens)
Le gouvernement décide à cette époque de supprimer l’abattage des arbres pour préserver la précieuse forêt, devenue protégée. Louable intention d’un point de vue écologique. Mais l’économie de la communauté qui vivait sur ces terres provient exclusivement de l’exploitation forestière. Les habitants de Te Whaiti se retrouvent acculés : le taux de chômage atteint 99% ! Une catastrophe.
Doublée d’une autre difficulté, la fermeture annoncée de leur école, en 1996, qui ne répond plus aux critères d’évaluation, selon le ministère néo-zélandais de l’Education.

L'école de Te Whaiti

Que faire ? La communauté décide de trouver seule les moyens pour s’en sortir sans dépendre d’une quelconque aide extérieure et de mobiliser toutes ses forces. Comme en témoigne la directrice de l’école, Genevieve Doherty : «Nous avons réalisé qu’avant de pouvoir changer quoi que ce soit, nous devions nous changer nous-mêmes».
Alors ils décident de se réunir, toutes générations confondues, de mettre tout leur talent et leur énergie en commun et de puiser dans leurs savoirs ancestraux.

Pour commencer ils décident de remettre sur pied leur école et de fournir à leurs enfants ce dont ils n’ont pas bénéficié eux-mêmes, une éducation et une porte vers l’économie de la connaissance.
En s’inspirant d’un de leur mythe, celui de Toi, explorateur pacifique et chef puissant qui savait que la force d’une communauté réside dans son savoir et le partage de ses ressources. Dans cette communauté isolée, sans commerce ni transports en commun, où les enfants atteignent rarement l’école secondaire, où de nombreux parents sortent à peine de l’adolescence, le défi est immense. ‘C’était terrifiant » se rappelle un des créateurs du conseil des habitants.

L’engagement de tous les parents (qui vont jusqu’à fournir des pelles pour aménager une nouvelle salle de classe dans un hangar) conduit, en quelques années, à des résultats étonnants. Ils finissent par inventer leur matériel pédagogique, définir leur règlement tout en retrouvant leur héritage maori pour asseoir leur identité sur un vrai socle. Et signent des contrats avec le ministère de l’Education afin de dispenser des formations aux technologies de l’information dans d’autres écoles de la région. L’école de Te Whaiti devient un modèle pour de nombreux éducateurs.

La seconde étape commence lorsqu’un Néo-zélandais « pakeha », Peter Goldsbury, fasciné par cette histoire imagine de développer ces méthodes dans un nouveau modèle d’organisation. Peter est natif de Te Whaiti, il a renoué avec son village natal après une longue carrière d’ingénieur et de gestionnaire de projet et découvre là plus qu’il n’a appris en 30 ans ! Entourés par les aînés de la communauté, un groupe travaille des mois pour extraire « la magie du kiwi » et concevoir Tipu Ake ki te Ora ce modèle qui croise des notions maori et des concepts occidentaux d’organisations.
Avec une clé de voûte essentielle : considérer que le bien-être partagé par tous est la seule possibilité de survie dans un monde complexe et chaotique, dans lequel tout est en interrelation (versus l’intérêt d’une poignée, garantie assurée d’un désastre).


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Les auteurs canadiens de l’Encyclopédie de l’Agora, (une encyclopédie en ligne très riche, créée à l’initiative d’un philosophe canadien) cite Tipu Ake comme un modèle de gestion de projet, basée non pas sur un seul leader mais sur une communauté :
« De plus en plus d’auteurs, comme Daniel Goleman (Primal Leadership), Max DePree (Jazz Leadership) et Rick Lash (Share the Wisdom of the Tribe), s’intéressent au type de leadership exercé dans les Premières Nations. Une tribu n’embauche pas, on en fait partie. Ce sentiment d’appartenance, la reconnaissance des interdépendances et l’intimité entre les membres assurent la combinaison des talents et des compétences nécessaires au progrès de la communauté. Les leaders tribaux font appel à la mythologie pour inciter les membres à jouer leur rôle dans le grand drame de la vie. Ils créent du sens en faisant appel au sens d’identité et à la quête personnelle de chacun. L’analyste jungien James Hollis dit que les leaders «ne sont pas là pour nous détourner de notre propre voyage, mais plutôt pour nous le rappeler» (Rick Lash, Globe and Mail, 29 août 2003). La complexité des problèmes auxquels nos organisations sont aujourd’hui confrontées exige la participation de tous les individus qui les composent. C’est pourquoi le modèle tribal de partage des connaissances et du leadership retrouve toute sa pertinence. »
(Le texte complet est ici.)

Depuis sa création Tipu Ake a grandi, on l’utilise maintenant à travers le monde, c’est aussi devenu une collection d’ouvrages. On l’enseigne à l’Université d’Auckland, des consultants s’en inspirent. On continue de raconter ou d’imaginer des histoires dans l’esprit de Tipu Ake.
Depuis leur village de Te Whaiti Nui-a-Toi, dans la forêt pluviale, la communauté est devenue la gardienne de Tipu Ake dont elle a la propriété intellectuelle et qu’elle est heureuse de partager. Ceux qui l’utilisent peuvent leur offrir un petit don, un koha. Pour ceux qui les plagient, ce n’est pas grave dit-on ici, ils n’ont pas compris l’esprit du cycle de la vie.

On peut consulter leur site et lire toute l’expérience traduite en français ici