Le paradis, les Dieux et la nature harmonieuse

Non, il ne s’agit pas d’une découverte sur un nouveau paradis à habiter mais d’une interrogation un peu récurrente sur la manière dont les documentaristes traitent certains sujets.  Début août, France 5 diffusait un  documentaire sur le Vanuatu qui subit fortement, depuis trente ans,  le changement climatique. Le commentaire où il  était question des habitants de l’île d’Ambrym qui devaient se protéger d’un prochain tsunami, évoque à un moment les gens qui aimeraient bien continuer à vivre «avec leurs dieux», « dans une parfaite harmonie avec la nature ».


 Vanuatu – Préparation aux catastrophes naturelles (projet Dipecho) © Adrien Mourgues


Commentaire qui interroge doublement. D’abord parce que les Ni-Vanuatais n’ont pas de « dieux », ils ont un dieu, celui du christianisme, introduit par les missionnaires. D’ailleurs, un des témoins était un pasteur d’Ambrym  que l’on voyait lors d’un office.  Mais ce que voulait sans doute exprimer  le commentateur c’est qu’ils avaient, avant la colonisation, leurs propres dieux, qui feraient toujours parti de leurs univers, et au milieu desquels ils souhaitaient vivre tranquillement. 

Or, ce qui prévaut dans l’archipel comme dans toute la Mélanésie, c’est le culte des ancêtres.  Il n’existe pas de panthéon de dieux ici, comme c’est le cas en Polynésie, mais une conception du monde dans laquelle chaque chose  est née d’un ancêtre mythique et primordial auquel on continue de se référer. On sait bien que les documentaires doivent être réalisés rapidement et qu’il est difficile, dans ces conditions,  de pénétrer les subtilités d’une société, surtout lorsque la thématique abordée est plutôt technique comme c’était le cas. Mais il est toujours navrant de constater que l’on projette en permanence notre vision des choses, et surtout ce que l’on imagine être une réalité (ces gens là ont forcément plusieurs divinités), alors que le guide du Routard ou Lonely Planet expliquent à peu près ce qu’est le culte des ancêtres et comment le Vanuatu est devenu chrétien (toute chose qui ne s’excluent pas mais coexistent dans une savante alchimie). Des informations qui peuvent se lire pendant le voyage en avion dont la durée devrait donner le temps de se renseigner.


Le deuxième point, plus subtil mais néanmoins bien symptomatique, est la référence à « l’harmonie avec la nature ». Des gens qui vivent comme cela au sein d’une nature luxuriante, dont ils tirent la majorité de leur ressources, certains au bord de plages paradisiaques (le terme a été utilisé une demi-douzaine de fois) vivent « forcément » en harmonie avec cette nature, pense-t-on.
Et bien, pas tout-à-fait. « Le concept européen de nature n’a pas d’équivalent en Mélanésie » explique l’ethnologue Christian Kaufman. La nature peut y constituer un grand danger… Aussi pour se protéger, il est nécessaire de s’approprier et de transformer les plantes… C’est ce qu’ont fait les hommes du Vanuatu avec le kava, par exemple, ce poivrier dont ils extraient un breuvage particulier en broyant les racines. Le kava est une plante en quelque sorte « humanisée », lien entre le monde des morts et celui des vivants, nécessaire au bon fonctionnement des relations et au maintien de l’harmonie entre les hommes.

Bien sur, pour tourner un film comme celui-ci, on n‘aura pas le temps de se plonger dans la littérature ethnologique. Mais comment faire pour éviter les stéréotypes du bon sauvage en harmonie avec la nature ? Tenez, lisons Philipe Descola, Par-delà nature et culture, une très bonne lecture pour sortir des  grilles ethnocentristes et du rapport occidental à la nature, ou Kannibal et Vahinés, de Roger Boulay pour se rappeler comment s’est construit la mythologie des mers du Sud qui décidément garde encore des scories qu’il est difficile de supprimer tout à fait.