Yu Zhou est un professeur de
chinois passionné par la France qu’il a découverte pendant ses études et où il
est resté vivre. Dans un livre
délicieux, La baguette et la fourchette,
il propose un va et vient entre les deux gastronomies, française et chinoise
(car Yu Zhou est un fin palais). Il y évoque la recette du bœuf à la sauce soja
trouvé dans un vieux livre de recettes chinoises qu’il tient de sa mère. Et se
pose une question. En effet la recette indique de mettre « un peu »
de sucre, « un petit peu » de glutamate. Yu Zhou se demande ce qu’en
dirait un lecteur français : un peu est-ce 1 g, 1,5 g, 2 g ?
Ce flou est inhérent à la
manière de penser chinoise nous dit le professeur. Le destin humain est
incertain, le monde en perpétuel mouvement. Le dosage dépend de plusieurs
critères : des denrées utilisées, du goût de chacun, de la région de Chine
où se confectionnera ce bœuf (les plats
sont plus relevés et salés au Nord, plus doux et légers au Sud). Comment alors
indiquer un dosage fixe et immuable, des règles rigoureuses ?
Ne faut-il pas alors suivre
Lao-Tseu : « La voix qui peut être exprimée par la parole n’est pas
la voix éternelle. Le nom qui peut être nommé n’est pas le nom
éternel » ?
Comme le dit Claude Levi-Strauss dans l’Autre face de
la lune ( très beaux textes sur le Japon) : « depuis les Grecs,
l’Occident croit que l’homme a la faculté d’appréhender le monde en utilisant
le langage au service de la raison : un discours bien construit coïncide
ave le réel, il atteint et reflète l’ordre des choses. Au contraire, selon la
conception orientale, tout discours est irrémédiablement inadéquat au
réel. »